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SAINT PIERRE DU MONT : DISCOURS DE LOUISE DAYOT

mardi 11 septembre 2012, par gabardan

Le Pouy, 18 août 2012

Mesdames, Messieurs,

On ne peut évoquer sans émotion la tragédie qui s’est déroulée voici 70 ans jour pour jour, à l’endroit même où nous sommes aujourd’hui réunis.

C’est ici, où existait une ancienne dépendance de la ferme du Pouy, que six enfants juifs, d’une moyenne d’âge de six ans, ont été raflés par des policiers français, en fin de matinée le 18 août 1942, livrés aux allemands et acheminés dans l’après-midi au camp de Mérignac, avant dernière étape du chemin conduisant au néant d’Auschwitz.

Qui étaient ces enfants, d’où venaient ils ?

Cinq d’entre eux étaient nés à Paris. C’étaient des petits français comme tous les autres. Trois avaient moins de 6 ans et étaient exemptés du port de l’infamante étoile jaune inventée par les nazis.


Fuyant avec leur mère les rafles de la région parisienne, ils sont arrivés en gare de Mont de Marsan pour gagner la zone dite « libre », où ils espéraient trouver le salut. Mais la fameuse ligne de démarcation ne sera pas franchie. Ils vont être arrêtés en gare de Mont de Marsan, le 13 juillet et les 7 et 8 août

.

Les mères sont conduites à la prison et les enfants remis aux autorités de Vichy, car les allemands refusent les enfants qui sont confiés aux bons soins des sœurs de Saint-Vincent de Paul qui gèrent l’hôpital Lesbazeilles.


C’est là que les cinq petits parisiens, Monique, Bernard, Hélène, Jacqueline et Salomon vont rejoindre Robert MELENDES, arrivé à Lesbazeilles dès le 7 juillet. Ce dernier est né et habite chez ses parents, commerçants à Arcachon. Robert et son frère étaient partis d’Arcachon à vélo pour rejoindre leur père réfugié en zone libre.

Ils sont arrêtés ; Charles, l’ainé, sera déporté dès le 19 juillet par le convoi n°7 qui emportera également la mère de la petite Monique.

Il est surprenant d’apprendre aujourd’hui que les allemands refusaient de prendre les enfants, du moins jusqu’à la mi-août 1942. Ces enfants auraient donc pu être sauvés en toute légalité. Hélas il n’en sera rien. Cependant ils vont connaître une dernière chance.


A l’initiative de la famille MELENDES et sûrement avec la complicité de la sœur supérieure AGNES, les enfants sont retirés de Lesbazeilles, le mardi 18 août au matin.

On peut imaginer le cheminement de cette petite troupe d’enfants, accompagnés d’un adulte, dans les rues de la ville occupée par les allemands. Ils ont dû emprunter la rue Pierre Lisse, le passage du Gézits et enfin, le chemin parallèle à la route de Grenade qui desservait à l’époque les fermes du Cotonou et du Pouy.

Que s’est-il passé en arrivant ici et pourquoi les enfants ont été planqués dans une dépendance de la ferme ?

  • Proximité d’une patrouille allemande ?
  • Rendez-vous manqué avec le passeur ?
  • Questions qui resteront sans réponse.

En fin de matinée, ce sont les policiers français qui surgissent et s’emparent des enfants qui sont immédiatement livrés aux allemands.

La dernière chance d’échapper au sort funeste de la déportation s’effondrait car, quelques jours auparavant, Monsieur GAZAGNE, préfet des Landes au temps de l’occupation, avait demandé aux allemands de prendre aussi les enfants. Sa demande sera exaucée.
Ultime réconfort dans leur cauchemar : Bernard, Jacqueline, Salomon et Hélène vont retrouver leur mère au camp de Mérignac avec qui, ils seront déportés à Auschwitz.

Seule Monique, 3 ans, n’aura pas la chance de revoir sa mère.
Monique, Bernard, Jacqueline et Salomon vont partir de Drancy le 31 août par le convoi n° 26.
Hélène le 11 septembre par le convoi n°31 et Robert le 21 septembre par le convoi n°35.
Tous seront gazés à leur arrivée au camp.

Telle a été la tragique odyssée des innocentes victimes dont nous honorons aujourd’hui la mémoire.

Ces enfants ne demandaient qu’à vivre. Ils sont morts parce qu’ils étaient nés juifs. Ce crime monstrueux perpétré au nom de la race par les nazis ne doit pas être oublié.

En honorant la mémoire des victimes, en faisant connaître leur tragédie, elles deviennent selon la belle formule de Serge KLARSFELD des « acteurs de l’histoire ». Leur calvaire témoigne pour les générations à venir.

L’horreur et l’ampleur des crimes racistes des nazis et des français qui les ont aidés dans leur sinistre besogne, ne doivent cependant pas faire oublier que si 11 400 enfants juifs ont été assassinés au temps de l’occupation en France, 60 000 autres enfants ont eu la vie sauve grâce à des milliers de français qui, malgré les risques encourus, n’ont pas hésité à cacher et sauver les enfants juifs.

Au terme de cet hommage à la mémoire des six martyrs de la ferme du Pouy, je voudrais évoquer l’ultime et déchirant message lancé du train de la mort par Jeannette GRYF, une fillette de 9 ans, arrêtée elle aussi le 18 août 1942 en gare de Mont de Marsan avec ses trois jeunes frères :

« Chère tante,

Je peux te dire qu’on nous a déportés de Drancy, lundi et je ne sais pas ou on va nous conduire… Si tu nous voyais, tu ne nous reconnaitrais pas. On est …mort.

Si tu reçois une lettre de papa, écris le malheur de nous et je ne sais pas si on se reverra encore.

Chère tante, tu seras très gentille d’envoyer cette petite lettre à papa. Papa on te dit un bonjour pour toujours, un bonjour de nous tous et merci pour tout »

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En conclusion, permettez-moi d’évoquer aussi cet appel à la tolérance et à la vie d’une lycéenne, suite à une visite pèlerinage au camp de la mort d’Auschwitz où ont péri les six enfants

 :

« Parce que se souvenir, c’est encore la meilleure façon d’éviter le pire et de construire un monde de paix et de tolérance, un monde où tous, sans distinction de race, ni de religion, nous aurons le droit de vivre, tout simplement le droit de vivre ».